Quand un manager est témoin de comportements déplacés ou abusifs, que doit-il faire ? Entre la volonté de protéger son équipe et la peur de se mettre en porte-à-faux avec sa hiérarchie, la question est délicate. Pourtant, les juges clarifient de plus en plus les obligations du manager en matière de harcèlement moral.

Harcèlement moral : un phénomène qui engage tout le collectif

Le harcèlement moral en entreprise n’est pas un simple dysfonctionnement relationnel. C’est une forme de violence au travail, avec des conséquences lourdes : dégradation de la santé mentale, arrêts de travail, démissions, voire suicides. Face à cela, la loi impose à l’employeur une obligation de prévention et de protection.

Mais qu’en est-il des managers intermédiaires, souvent premiers témoins ou relais d’information ? Peuvent-ils rester passifs sans conséquence ?

La clé d’une prévention efficace, c’est d’agir dès les premiers signaux. Le silence d’un manager, même bienveillant, peut faire le lit de la violence psychologique. » —  Anita Lemasson – psychologue du travail et psychosociolgue 

Une jurisprudence de plus en plus explicite

 L’affaire Orange / France Télécom : harcèlement institutionnel

Dans un arrêt du 21 janvier 2025 (Crim. n° 22-87.145), la Cour de cassation a validé la condamnation pénale d’anciens dirigeants pour harcèlement moral institutionnel. Leur stratégie de réorganisation avait, sans qu’ils ciblent directement des individus, entraîné une dégradation systémique des conditions de travail.

Ce que dit la justice ? Même sans lien hiérarchique direct, un dirigeant peut être reconnu coupable si la politique qu’il met en place a des effets néfastes pour les salariés.

Harcèlement managérial : l’arrêt du 6 mai 2025

Dans un autre arrêt marquant (Soc. n° 23-14.492), la Cour valide un licenciement pour faute grave d’un manager auteur de pratiques dégradantes : pression répétée, dévalorisations, isolement. Même si l’employeur n’avait pas anticipé ou prévu de dispositif de prévention, cela n’exonère pas le manager.

Un message fort : la responsabilité individuelle ne s’efface pas derrière les défaillances collectives.

Les risques de l’inaction pour le manager

1. Risques juridiques

  • Complicité passive : un manager qui observe des faits et ne fait rien peut être considéré comme complice.
  • Non-assistance à personne en danger : en cas de souffrance psychologique avérée, cette infraction peut être invoquée.
  • Responsabilité disciplinaire : il peut faire l’objet d’une sanction de l’entreprise.

2. Risques humains et managériaux

  • Perte de confiance dans l’encadrement
  • Tensions internes dans l’équipe
  • Risque de turn-over accru
  • Impact psychologique sur le manager lui-même

Les 5 réflexes du manager vigilant

  1. Identifier les signaux faibles (isolement, irritabilité, plaintes répétées)
  2. Instaurer un climat de dialogue sécurisant
  3. Alerter les bons relais internes (RH, CSE, référent)
  4. Proposer un soutien immédiat à la personne concernée
  5. Veiller au suivi post-alerte

Entre signalement et loyauté : sortir du dilemme

Être manager, c’est exercer une fonction de responsabilité morale autant que hiérarchique. Cela signifie qu’en cas de comportement douteux ou de signalement, le manager doit agir.

Mais comment ?

Les bonnes pratiques :

  1. Recueillir les faits avec objectivité : écouter sans juger, noter les éléments factuels, les dates, les comportements observables.
  2. Ne pas rester seul : alerter la DRH, un référent harcèlement, le CSE.
  3. Conserver une trace écrite des signalements et actions entreprises.
  4. Mettre en place des mesures provisoires : changement de poste, séparation des personnes concernées.
  5. S’assurer qu’une enquête soit ouverte : interne ou externe.

Instaurer une culture du signalement : l’affaire de tous

Pour que les managers puissent remplir leur devoir d’alerte, l’entreprise doit créer un cadre de confiance et de sécurité :

🔹 Formations obligatoires

  • Sur le harcèlement moral et sexuel
  • Sur les techniques d’écoute active

🔹 Procédures de signalement claires

  • Canal confidentiel, voire anonyme
  • Interlocuteur identifié

🔹 Garanties contre les représailles

  • Protection du manager et du salarié qui signale
  • Sanctions contre toute tentative d’intimidation

🔹 Dispositif d’accompagnement

  • Cellule psychologique
  • Soutien managérial
  • Coaching post-crise

Conclusion : choisir le courage managérial

Être manager, ce n’est pas fermer les yeux. C’est être le premier vigile de la bientraitance au travail. En agissant rapidement et en s’appuyant sur les bons relais, un manager protège non seulement ses équipes, mais aussi lui-même et l’entreprise.

Ne rien faire, c’est déjà faire le choix de l’indifférence.

Et dans le monde du travail d’aujourd’hui, l’indifférence n’est plus une option.

Sources utilisées :